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La mystique dans l’Islam ancien et moderne
Dans l’Islam, aussi bien dogmatique qu’agissant, le soufisme apporta des développements à la fois spirituels et réalistes aux conceptions et aux actes des croyants.
Qu’est-ce donc que le Soufisme, peu connu en occident et souvent mal connu par ceux même qui le citent ?
On a voulu rapprocher le terme « soufi » du grec « saphos » (sage) et aussi de l’arabe « çouf » (laine). Le soufi serait le sage habillé de laine. Le Soufisme apparut tout d’abord en Iran et fut une réaction des mystiques, locale, contre le déterminisme fataliste du dogme coranique, lequel selon Nicholson (The mystic of Islam, London, 1914), refusa à l’origine d’intégrer la tendance mystique de l’âme humaine.
Le soufisme fut ensuite une réaction des aspirations du terroir local contre l’arabisme.
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Une réaction contre le fatalisme
Islam veut dire en arabe : soumission, soumission à Dieu, et la simplicité de la religion originelle lui valut son succès en Asie et en Afrique. Quand les compagnons guerriers du Prophète Mahomet ouvrirent l’ère des conquêtes et de la prédication, ce dogmatisme fataliste ne pouvait satisfaire la vieille civilisation iranienne. Elle accepte le Coran e l’adaptant : le Soufisme, tout en se disant intégralement islamique, fut une manifestation, une résurgence du « libre-arbitre » contre le pur fatalisme.
Le Coran donne non seulement le fait religieux mais il impose encore un code civil, ce que Jésus n’a jamais voulu réaliser. Les Hadiths fournissent les appréciations des rites officiels sur les obscurités du Coran. L’ensemble donne aux musulmans une loi à laquelle ils doivent se soumettre.
Si le Christianisme veut élever l’homme vers Dieu, l’Islam fait descendre l’autorité de Dieu vers sur les hommes.
La pensée sémitique arabe pouvait s’en satisfaire, mais, chez les peuples conquis par l’Islam arabe, il se produisit une sorte de réaction mystique, accompagnant les réactions du terroir, en même temps qu’un essai d’adaptation des coutumes et traditions locales à la loi nouvelle des conquérants, une tentative de présentation de civilisations anciennes plus évoluées, ayant déjà atteint les plus hautes cimes de la pensée.
A ces forces extérieures à l’Islam se joignaient des forces internes existant dans la religion elle-même : ces dernières poussaient certains fidèles à vouloir déplacer les simples manifestations rituelles afin de parvenir à une exaltation mystique, personnelle ou de groupe, permettant la fusion avec l’intuition divine.
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Un idéal d’immobilité
Vers l’an 700, une femme nommée Rabia, introduisit le monachisme dans l’Islam par le Soufisme.
Le soufisme est l’aboutissement certain des pensées indo-iraniennes, néo-platoniciennes, chrétiennes.
Il met d’abord l’accent sur un état d’âme, sur un élan spirituel, une intuition mystique. Son idéal consiste à tendre vers une immobilité complète de l’âme, laquelle permet à l’initié de trouver en son propre coeur la présence divine, ce qui entraîne une indifférence presque absolue à l’égard du monde extérieur, il ne s’agit cependant pas d’un détachement semblable à celui du Bouddhisme, ou de la méditation philosophique d’un stoïcien, et encore moins de la prière ardente du chrétien.
Le soufisme en arrive à un véritable envoûtement déterminant l’ascétisme, ou alors à une sorte d’exaltation groupale, comme celle des Aïssouas ou celle des Derviches Tourneurs. Le but du Soufisme ou « Tassouaouof », est de placer dans la conscience de l’homme l’esprit caché de la loi en accord avec la Lettre et de parvenir ainsi, par des pratiques pieuses ( très souvent par la répétition continue, mentalement ou à haute voix, avec la répétition de gestes fixés par un long usage, de certaines parties du Coran, ou des litanies), a un état de pureté morale ou de spiritualisme tel que l’on puisse voir Dieu face à face et sans voiles, enfin de s’unir à lui. L’anéantissement de l’individu en Dieu est la récompense promise ; le monde n’est qu’illusion ; tous les efforts de l’homme doivent tendre vers l’extase suprême qui est l’union avec Dieu.
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Jusqu’à la complète exaltation
En tant qu’héritiers en quelque sorte des pensées anciennes, plusieurs soufis se réfugièrent en ascète dans le désert, tout comme le firent certains mystiques chrétiens.
L’ascétisme est la voie de la communion avec Dieu. Les extases successives préparent le croyant à s’unir avec Lui par l’amour.
Les idées spéculatives des soufis vont ainsi jusqu’à la complète exaltation. Ils admirent Dieu en tout, et admettent même que les objets animés ou inanimés doivent être considérés comme représentant une part de l’action divine. De là sans doute provient le maintien, souvent constat, du culte des arbres, des sources, etc.
L’animisme s’est ainsi conservé dans l’Islam. Il n’existe qu’un être réel : Dieu, lequel se manifeste sous une multitude de formes à l’esprit humain, fraction de l’essence divine. Alors, peu importe les rites, il suffit que la pensée humaine s’exalte vers la contemplation de Dieu.
C’est ainsi que le soufisme, subissant la résurgence des antiques pensées, finit par représenter la Pensée libre au sein de l’Islamisme.
Il en résulta une déformation sensible de la conception religieuse primitive.
Les ascètes, les moines, furent peu à peu remplacés par des individus appelés Derviches, Walès, qui, dans leur vie errante, montraient aux masses la pratique d’exercices, qui, à l’origine, devaient servir à déterminer l’extase, mais devinrent peu à peu un véritable ritualisme dans lequel l’imagination avait chassé la raison. Et ce furent les Derviches tourneurs, hurleurs, etc.
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L’extension vers l’Afrique
Toutefois certains ascètes d’envergure devinrent les chefs d’école mystiques, les fondateurs de véritables ordres religieux, de plus en plus révérés par les tribus et écoutés sur le plan éducatif religieux et sur le plan réaliste politique. Les chefs mystiques eurent leurs sanctuaires, la « zaouïa » (coin, angle), lieu de refuge en même temps que de prière. Chaque communauté finit par avoir sa « zaouïa ».
Ainsi, le pur Soufisme, qui, sans toucher au dogme, voulut introduire le libre arbitre dans l’Islam, eut comme aboutissement pratique l’apparition de véritables ordres religieux, de congrégations, dans lesquels le spirituel ne suffit plus et qui recherchent l’autorité dans le temporel ; le chef de l’école mystique, le chef de la « zaouïa », représentait le pouvoir absolu. C’est pourquoi, d’ailleurs les oulémas (ulémas, ouleinas) puristes condamnent souvent ces congrégations, ces confréries, comme étant devenues un élément dissolvant de l’unité islamique.
Même dans ces aboutissements réalistes, le Soufisme a une action mystique indéniable. Ceux qui veulent connaître réellement le monde islamique, et surtout le comprendre, doivent étudier de très près les divers aspects du Soufisme. Cela est d’autant plus exact que, de nos jours, parmi les jeunes musulmans évolués, il existe au moins deux mouvements : les uns oublient, pour un moment tout au moins, le dogme et les rites, pour accéder à un rationalisme areligieux, les autres veulent dépasser le rigorisme dogmatique et rituel pour parvenir à une forme supérieure de la foi ; ces derniers se disent être des soufis. Ce nouvel aspect apparaît nettement chez de nombreux jeunes Africains noirs, et c’est là, sans doute, un signe des temps.
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